Analyse de David Simhon – Cabine n°250 – Avril 2012

Analyse du décret du Conseil d’État

I – Par décret en date du 11 avril 2011, le Gouvernement a entendu interdire l’ensemble des actes de lyse adipocytaire à visée esthétique.
Plus précisément, le Gouvernement s’est attaqué à deux grandes catégories d’actes. Dans l’article 1er du décret, le Premier Ministre (en réalité, la Direction Générale de la Santé du ministère de la Santé, rédacteur du texte) a prohibé cinq méthodes de lyse adipocytaire dites invasives. À savoir :
• lyse adipocytaire utilisant des injections de solutions hypo-osmolaires ;
• lyse adipocytaire utilisant des injections de produits lipolytiques (phosphatidylcholine ou déoxycholate de sodium) ;
• lyse adipocytaire utilisant des injections de mélanges mésothérapeutiques ;
• lyse adipocytaire utilisant la carboxythérapie ;
• lyse adipocytaire utilisant du laser transcutané, sans aspiration.
L’article 2 du décret interdisait, sans autres distinctions, « la mise en oeuvre des techniques à visée lipolytique utilisant des agents physiques externes » ou, en d’autres termes, les techniques de lipolyse non invasives.
Le 17 juin 2011, le Conseil d’État a suspendu en urgence et temporairement l’ensemble du texte.
Le 17 février 2012, le Conseil d’État a définitivement statué sur la légalité du décret.
L’article 1er susvisé est déclaré licite.
La Haute Juridiction a décidé que l’interdiction des cinq méthodes susvisées entrerait de nouveau en vigueur à compter du 1er mars.
En revanche, l’article 2 est définitivement annulé pour erreur manifeste d’appréciation (c’est-à-dire en raison de l’erreur d’appréciation « grossière » du Gouvernement).

II – Huit requêtes en annulation avaient été déposées contre le décret d’avril 2011.
Quatre demandaient l’annulation de l’ensemble du texte.
Deux ont été interprétées par le Conseil d’État comme dirigées contre l’article 2 et non contre le 1.
Seuls la CNEP et le groupe Cellusonic (membre de la CNEP) ont spécifiquement demandé l’annulation du seul article 2 du décret. Dès lors et formellement, seuls ces deux requérants ont entièrement obtenu satisfaction devant le Conseil d’État.

III – J’ai eu l’honneur de représenter la CNEP lors de cette procédure. La décision de s’attaquer exclusivement à l’article 2 n’est certainement pas due au hasard, mais résulte d’une stratégie mûrement réfléchie avec la présidence de la Confédération Nationale de l’Esthétique Parfumerie.
Les actes invasifs listés dans l’article 1er du texte étaient exclusivement pratiqués par des médecins esthétiques, les esthéticien (ne)s ne réalisant – pour leur part – que des actes de lypolise non invasifs.
La CNEP représente l’ensemble de la filière esthétique non médicale. Elle n’avait ni vocation, ni intérêt à s’attaquer à une interdiction qui ne concernait pas ses membres. D’où l’option choisie.
Et l’histoire nous donne manifestement raison.

IV – À mon sens, il importe de rebondir sur cette décision du Conseil d’État.
La Haute Juridiction a distingué entre l’invasif et le non invasif, le médical et le non médical. Et elle a opté pour une solution différente pour chacune de ces deux catégories d’actes.
Il faut probablement s’inspirer de ce raisonnement. Exiger que soient enfin définis et encadrés trois types d’actes esthétiques, par ordre de dangerosité :
• la chirurgie esthétique, de la compétence exclusive des chirurgiens ;
• la médecine esthétique, réalisée par des professionnels de santé ;
• l’esthétique de beauté et de bien-être, jusqu’à preuve du contraire dénuée de tout danger et domaine naturel de l’esthéticien(ne).
L’esthéticienne (ou l’esthéticien) doit pouvoir pratiquer les actes qu’elle (ou il) connaît et maîtrise, pour lesquels elle (ou il) a été formé(e), et ce en bonne intelligence, et non en concurrence frontale, avec le médecin ou le chirurgien.
Les esthéticien(ne)s ne doivent pas s’immiscer dans le champ médical. Elles (ou ils) perdraient à tous les coups, mais elles (ou ils) doivent jalousement défendre leur territoire et chercher à s’approprier l’ensemble des actes et technologies inoffensifs.
C’est probablement là le grand défi « juridico-réglementaire » des mois à venir.

V – Même suspendu en urgence, le décret du 11 avril n’a pas été sans incidence. Comme Conseil de la CNEP, j’ai été alerté du nombre anormal de faillites et autres difficultés rencontrées par les professionnels du secteur.
L’article 2 du décret a été déclaré illégal.
Or, le Conseil d’État juge classiquement que l’illégalité d’une décision administrative, à supposer même qu’elle soit imputable à une simple erreur d’appréciation, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique (CE, Sect., 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt, req. nº 84768).
Par conséquent, l’ensemble des acteurs du secteur est, en théorie, en droit d’obtenir réparation du préjudice direct et certain qu’il a subi du fait de l’interdiction des actes de lypolise non invasifs. Précision toujours utile à connaître…

David Simhon

Avocat à la Cour

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