Poils : la guerre du laser

Poils, la guerre du laser

Les enseignes Guinot Emery Cohr poursuivent pour concurrence déloyale les fournisseurs en matériel d’épilation définitive, réservée aux médecins mais pratiquée par certains instituts.

Un récit de Violette LAZARDsur LIBERATION.fr – 11 mai 2014

 
Certains préfèrent l’arracher à la cire, même si ça fait mal, même si l’opération est condamnée à se répéter inéluctablement. D’autres préfèrent éradiquer leurs poils, carrément, et optent pour l’épilation définitive appelée communément l’épilation au laser. Avec la guerre tous azimuts déclarée aux poils, tant par la gent féminine que masculine, cette deuxième technique prolifère sur le juteux marché de l’épilation… Mais peut-être plus pour très longtemps.

Les tenants des techniques plus classiques crient aux risques de santé publique et ont décidé de déplacer le débat sur le front judiciaire. Fin mars, les instituts Guinot (leaders avec 1 800 franchisés en France) et Mary Cohr (1 300 instituts revendiqués) ont attaqué devant le tribunal de commerce de Paris une quinzaine de fournisseurs en matériel d’épilation définitive, pour concurrence déloyale. Le jugement est attendu aujourd’hui.

Lucratif.

«Nous attaquons les fournisseurs et non les esthéticiennes elles-mêmes car ce sont eux qui se trouvent en situation de concurrence directe avec mes clients, explique Me Alexandre Varaut, avocat des instituts Guinot et Mary Cohr. La concurrence n’est pas loyale si les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde…»

D’après ces deux fournisseurs de produits d’épilation classique, les entreprises faussent le marché en se rendant complices d’exercice illégal de la médecine. Car tout appareil d’épilation définitive, qu’il utilise la technique du laser ou de la lumière pulsée, ne peut être utilisé que par des médecins. «Le modèle économique de ces fabricants est sans précédent, poursuit Me Varaut. Il est illicite, et ce n’est pas une appréciation de ma part, c’est la réalité. De plus, des franchises sont en train de se développer.»

Le code de la santé publique est en effet sans équivoque. D’après l’arrêté de 1962, «tout mode d’épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire» ne peut «être pratiqué que par des médecins».

Sur la base de ce texte, des tribunaux ont condamné depuis plusieurs années des esthéticiennes dans toute la France pour exercice illégal de la médecine. En général, ce sont des dermatologues qui portent plainte contre ces instituts de beauté attirés par un marché lucratif : selon la partie du corps, une épilation définitive peut coûter de 150 à plus de 1 000 euros. Le coût horaire d’une séance est en effet très onéreux (à partir de 50 euros environ pour les instituts de beauté les moins chers).

Le dernier jugement a été prononcé à Orléans le 11 mars. Poursuivies par des médecins, trois esthéticiennes ont été condamnées à des peines de 2 000 euros d’amende avec sursis. Une «mansuétude» de la part de la justice que certains avocats expliquent par l’ignorance des esthéticiennes de la législation, et le «baratin» que les fournisseurs leur livrent en même temps que le matériel.

«Parfois, avant d’en arriver au procès, les médecins tentent d’envoyer un courrier aux esthéticiennes pour les mettre en garde», explique Bertrand de Haut de Sigy, l’avocat du syndicat des dermatologues présent dans le cadre de la procédure. Parfois, cela suffit à les dissuader.

Mais la procédure lancée par Guinot et Mary Cohr va permettre de passer au stade supérieur, et de ne plus régler les litiges au cas par cas. «Cette utilisation non maîtrisée, et qui se généralise, du matériel d’épilation définitive pose un problème de santé publique, poursuit Me Haut de Sigy. Ces lampes peuvent provoquer des brûlures quand elles sont mal utilisées.»

Autre risque mis en avant par les médecins : les lampes permettent d’effacer des taches brunes sur la peau. C’est «l’effet rajeunissement» promis par les instituts de beauté. Sauf que ces taches, en apparence bénignes peuvent cacher un début de cancer ou une maladie plus grave. Leur disparition momentanée retarde donc un éventuel diagnostic.

« Coup de soleil »

. Des arguments que réfutent en bloc les syndicats des esthéticiennes (Cnep) et des distributeurs de matériel (UMM). «Ce n’est pas un problème de santé publique que soulèvent un certain nombre de médecins, riposte David Simhon, leur avocat. Ils protègent plutôt un monopole financier.» Selon lui, les appareils utilisés en instituts ne présentent aucun risque, si ce n’est des petites «brûlures» pas plus graves «qu’un coup de soleil». D’ailleurs, le syndicat des esthéticiennes aimerait que des formations spécifiques sur l’épilation définitive soient dispensées dans les écoles d’esthétique. Il en existe déjà dans quelques établissements.

Quid du code de la santé ? «L’article concernant l’épilation n’a pas été réformé depuis 1962, il n’a donc pas été rédigé dans cette finalité. Et il est contraire au droit européen», fait valoir Me David Simhon.

Fin mars, l’avocat a d’ailleurs déposé une plainte auprès de la Commission européenne contre la France pour non-respect du droit de la concurrence. La guerre va continuer.

 

Laisser une réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

17 − 1 =

Mentions Légales