« La filière Beauté-Bien-être est en mutation et doit relever des défis » – Interview de la présidente de la CNEP

 

Longtemps perçue comme un secteur discret et protégé, la filière Beauté-Bien-être connaît aujourd’hui une transformation profonde. Entre les conséquences de la crise sanitaire, les évolutions technologiques — notamment l’arrivée de l’intelligence artificielle —, les nouvelles attentes des consommateurs et les défis environnementaux, les professionnels doivent repenser leurs pratiques et leurs formations. Dans cet entretien, Régine Ferrere, présidente de la CNEP, dresse un état des lieux du secteur, souligne son poids économique et les métiers porteurs, et partage ses conseils aux jeunes souhaitant s’y engager. Elle livre également sa vision de l’avenir de la beauté et du bien-être à l’horizon 2030.

Propos recueillis par Julie Mleczko

 

Pourquoi dit-on que la filière Beauté/Bien-être est en pleine transformation aujourd’hui ?

Régine Ferrere, présidente de la CNEP

″ La filière Beauté-Bien-être connaît actuellement une mutation profonde, marquée par plusieurs défis simultanés.

Tout d’abord, un défi conjoncturel lié à la crise sanitaire. Longtemps restée dans l’ombre des cabines, la profession a été brusquement mise en lumière lorsque le gouvernement a décidé de la classer dans les secteurs « non essentiels » pendant la pandémie. Cette situation a permis aux consommateurs de prendre conscience de l’importance, voire du caractère incontournable, des rendez-vous chez l’esthéticienne.
À la suite de cette crise, les habitudes de consommation ont évolué : la cliente d’aujourd’hui est souvent « IA-informée », c’est-à-dire qu’elle arrive avec des conseils et diagnostics obtenus via l’intelligence artificielle. Notre défi est donc de savoir comment répondre à ces attentes et interagir avec une cliente déjà « conseillée » par l’IA.

Ensuite, un défi économique lié aux effets collatéraux du Covid. L’inflation et la baisse du pouvoir d’achat poussent les familles à revoir leurs priorités budgétaires, au détriment parfois des soins esthétiques considérés comme non essentiels. Par ailleurs, l’essor du DIY (Do It Yourself) encourage certains consommateurs à réaliser chez eux des soins autrefois réservés aux instituts, comme l’épilation à la lumière pulsée grâce à des appareils accessibles au grand public, tels que l’épilateur Philips.

Vient également un défi réglementaire. La filière doit s’adapter en permanence aux nouvelles réglementations européennes concernant les cosmétiques et les dispositifs médicaux.

À cela s’ajoute un défi environnemental. La hausse du prix de l’énergie entraîne une explosion des coûts, notamment de l’électricité pour les instituts et de l’eau pour les spas. Le changement climatique pourrait également modifier les comportements des consommateurs : des températures plus élevées pourraient réduire l’intérêt pour certaines prestations, comme les massages aux pierres chaudes, les hammams ou les saunas. Nous devons donc réfléchir à nos consommations d’eau, d’électricité et à la réduction des consommables jetables.

Enfin, un défi sociologique se dessine. Avec le vieillissement de la population et la montée des préoccupations autour du « bien vieillir », nous devons adapter nos routines de soins pour répondre à cette clientèle attentive à la provenance, à la qualité et à la composition des produits, mais aussi à l’efficacité des cures avec appareils. ”

 

La beauté est aussi une industrie de pointe. Que représente ce secteur en France en termes d’emplois et d’économie ?

″ On l’ignore souvent, mais la filière Beauté-Bien-être repose sur une véritable industrie de pointe et constitue un atout économique majeur pour la France. Elle est structurée autour d’un Comité de Filière qui regroupe trois grands acteurs.

La FEBEA (Fédération des Entreprises de la Beauté) est le syndicat professionnel des fabricants de produits cosmétiques : parfums, maquillage, soins, hygiène et capillaires. Elle rassemble plus de 300 entreprises, dont 88 % de TPE et PME, et 67 % implantées en région.

La Cosmetic Valley, quant à elle, fédère l’ensemble de l’écosystème – entreprises, centres de recherche, universités et écoles – de la parfumerie-cosmétique. Ce réseau représente plus de 6 300 établissements, principalement des TPE, PME et ETI, et emploie 226 000 personnes pour un chiffre d’affaires annuel de 71 milliards d’euros.

Enfin, la CNEP (Confédération Nationale de l’Esthétique et de la Parfumerie) regroupe trois volets complémentaires :

  • les fabricants de cosmétiques professionnels via l’Union des Marques de l’Esthétique (UME),
  • les fabricants de matériels et dispositifs médicaux via l’Union des Marques du Matériel (UMM),
  • la formation et la distribution via l’UPB, qui fédère les écoles, CFA, centres de formation Qualiopi, instituts indépendants et franchisés, spas, centres d’embellissement, de bronzage, de maquillage ou de dermopigmentation.

La CNEP représente 1 450 adhérents, dont 82 % de TPE/PME, pour 7 100 salariés.

La filière se distingue par son dynamisme, reposant à la fois sur la production de matériels et de cosmétiques toujours plus performants, sur la formation continue et sur la prestation de services de bien-être. La recherche et l’innovation sont des piliers stratégiques qui renforcent la compétitivité de nos entreprises, tout en donnant une forte visibilité à leurs laboratoires au niveau national et international.
Avec 22,5 milliards d’euros exportés en 2024, le secteur est le deuxième contributeur à la balance commerciale française, juste derrière l’aéronautique et devant les spiritueux. ”

Quels sont les métiers les plus porteurs actuellement dans le secteur de l’esthétique et du bien-être et les formations qui y mènent ?

″ Le métier d’esthéticienne est réglementé : il est obligatoire d’être titulaire d’un CAP pour toucher la peau avec les mains ou un appareil. Ce cadre réglementaire est un atout, car il stimule la formation continue, indispensable pour suivre l’évolution constante du secteur, entre nouvelles techniques et tendances émergentes.

Le CAP Esthétique Cosmétique Parfumerie (niveau 3) est donc la porte d’entrée. C’est un passeport qui garantit un socle commun de compétences : soins du visage, manucure, beauté des pieds, maquillage, épilation, vente de produits et de services, accueil client et connaissance de l’entreprise. Il donne le titre d’esthéticienne et permet de travailler en institut, en parfumerie ou dans les centres d’embellissement.

Le Brevet Professionnel (BP), de niveau 4. On y apprend les soins du visage avancés avec des appareils high-tech, les soins du corps minceur, les massages bien-être, la prothésie ongulaire, la relation client et la gestion d’entreprise. Ce diplôme ne se fait qu’en alternance sur 2 ans et nécessite un CAP. Il donne le titre d’esthéticienne hautement qualifiée.

Enfin, le BTS Métiers de l’Esthétique, de la Cosmétique et de la Parfumerie (niveau 5) ouvre des perspectives plus larges, avec trois options :

  • management d’une entité commerciale,
  • animation et négociation commerciale,
  • cosmétologie et R&D.

Ce diplôme permet d’accéder à des postes de manager, formateur réseau, technicien en laboratoire ou en qualité, et constitue une passerelle vers des études supérieures (Bachelor, licence de chimie, MBA…).

Les métiers en tension concernent principalement les nouvelles technologies (soins anti-âge, LED, lumière pulsée), le bien-être en spa, ainsi que des spécialités comme l’embellissement des ongles, du regard et la dermopigmentation. ”

Quels conseils donneriez-vous à un jeune ou à une jeune qui s’intéresse à ces métiers ? Faut-il avoir un « profil type » ?

″ Pour s’épanouir dans ce domaine, il faut aimer prendre soin des autres et être prêt à entrer en contact direct avec les clients.

Outre cette dimension humaine, des connaissances scientifiques et technologiques solides, une bonne culture générale et un savoir-être irréprochable sont essentiels. Les soft skills (empathie, écoute, communication) sont aujourd’hui très valorisées par les recruteurs.

Par ailleurs, la France est la première destination touristique mondiale, et l’accueil des touristes dans nos instituts et spas d’hôtellerie se fait principalement en anglais.

Et surtout, il faut être à l’aise avec le fait de toucher les clients. C’est un vrai point de vigilance : beaucoup de jeunes ont aujourd’hui un rapport compliqué au corps et au contact physique. ”

Comment voyez-vous l’avenir de la filière Beauté/Bien-être dans 5 à 10 ans ?

″ L’avenir s’annonce riche en défis et en opportunités. Quatre grands enjeux se dessinent.

Le premier concerne l’émergence de la cliente « IA-augmentée ». Aujourd’hui, une cliente peut décrire ses préoccupations cutanées ou ses besoins à ChatGPT ou à un autre outil d’IA et arriver en magasin ou au spa avec des recommandations de produits, de routines, ou même de soins.
Notre défi, c’est d’adapter la formation de nos conseillers et praticiens pour savoir interagir avec une cliente déjà « diagnostiquée » par l’IA..

Le deuxième enjeu est la diversification des services, c’est-à-dire de répondre à la fois aux demandes de soins holistiques et aux soins high-tech, en restant attentif aux nouvelles tendances comme l’embellissement du regard ou des ongles. Cela suppose une veille technologique permanente et une grande capacité d’adaptation.

Le troisième enjeu est lié à l’expérience client : le consommateur recherche une connexion émotionnelle. Il faut construire une vraie connivence entre le client et le praticien, à travers un parcours multi-sensoriel et une relation basée sur l’échange. Cela passe par des formations spécifiques à la relation client et des recrutements très ciblés.

Enfin, le quatrième enjeu touche la formation des nouvelles générations. Face aux générations Z et Alpha, les méthodes traditionnelles ne fonctionnent plus. Pour elles, un apprentissage passif, c’est comme un smartphone sans internet : ça n’a pas grand intérêt !
Ces générations veulent de la flexibilité, de l’autonomie, et nous devons utiliser l’IA pour transformer l’apprentissage en une expérience dynamique, avec des défis, des points, des badges. Fini le modèle unique pour tous : l’IA peut ajuster le contenu, le rythme et même la difficulté en fonction des progrès et des préférences individuelles. ”